Association du patrimoine artistique asbl

XXe

CALCUTTA

Bengali Palaces & Vestiges of Her Majesty's Empire

Photographs by Fabien de Cugnac & François Loze


Du 15 septembre au 29 octobre 2022


Ouverture de l'exposition jusqu'en janvier 2023 sur demande.


Bande annonce en français
Bande annonce en anglais (teaser)
Fabien de Cugnac

Heritage Days/Journées du Patrimoine OFF​ 2022 - Traces de la colonisation - 17 & 18 sept. de 10 à 18 h

La population du Bengale est historiquement la plus imprégnée culturellement en Inde par l’occupation anglaise. Ses élites étaient étroitement liées à la Compagnie anglaise des Indes orientales. À Calcutta se concentrait une population composée des membres de l’administration de la compagnie, de militaires et des grandes familles indiennes, confortablement établies, prenant part au commerce, et finançant même la Compagnie par ses prêts, pour ses opérations commerciales, mais aussi militaires. Cet entrelacement d’intérêts économiques, de proximités et d’influences culturelles mutuelles fut le terreau d’une refondation culturelle qui toucha la philosophie, la religion, les arts, se développant parmi les élites bengalies, dont certaines avaient parfois fréquenté les écoles et universités anglaises. L’émergence d’une classe moyenne formée dans les collèges et les nouvelles universités locales, dont celle de Calcutta, créée en 1857, amplifia le mouvement. Il finit par toucher une large part de la société indienne à la fin du XIXesiècle.

L’attrait pour le patrimoine architectural de Calcutta s’est historiquement porté sur les résidences et édifices officiels anglais datant de la période coloniale plus que sur les grands palais de la ville bengalie. Mais les palais enfuis dans les méandres du nord de la ville, évoquant la Grèce et la Rome antique par leurs formes générales, empruntant aux arts locaux détails et ornementations, n’ont pas manqué de fasciner également les visiteurs. À l’époque de leur construction, ils étaient entourés de jardins mais au XXesiècle, sous l’effet de la pression démographique, du déclin économique et des successions, la ville a petit à petit englouti dans son développement le patrimoine d’une caste qui a perdu son statut économique. La nationalisation d’une grande partie de ses avoirs fonciers et l’abolition des privilèges de cette caste par le nouvel état indien en 1947 expliquent cette évolution urbanistique.

Lors de leurs reportages photographiques en 1990, Fabien de Cugnac et François Loze ont eu la chance d’être parfois introduits dans les intérieurs de réception de ces demeures, plongés dans la pénombre de salons aux persiennes fermées, intacts depuis tant de générations, loin de la chaleur et du tumulte des ruelles avoisinantes. Les portraits des aïeuls, les grands miroirs écaillés par le temps, les lustres, les fauteuils, ce mobilier de style témoignent encore de l’influence occidentale parmi les élites bengalies au XIXe.

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La splendeur du patrimoine architectural de Calcutta m'est apparue à la faveur d'un hasard, lié au cosmopolitisme de Bruxelles. Au milieu de années 80, un ami journalistehollandais a rencontré dans notre ville une princesse indienne. Peu après, ils ont décidé de se marier. Nous aurions pu, Dominique et moi, assister à ce mariage, qui avait lieu au nord de l'Inde, au Meghalaya en Assam. Mais notre fille aînée venait de naître. Un ami italien s'y est rendu et, au retour, nous sommes allés chez lui pour regarder et commenter les photos du mariage, celles notre ami hollandais enturbanné, mais aussi celles qu'il avait prises dans les villes qu'il avait pu également visiter ensuite en Inde, dont Calcutta. Je venais de publier un volumineux ouvrage illustré sur le Palais de Justice de Bruxelles, dont l'étude m'avait pris bien des années. Mais là, c'étaient des palais par dizaines, bâtis au même moment, et parfois même bien avant que la Belgique n'existe. Les photos du Marbel Palace avec son extraordinaire mobilier m'avaient particulièrement impressionné. Mon frère François, photographe, venait de créer une maison d'édition et nous étions à la recherche de sujets complètement inédits. C'est ainsi qu'a démarré ce projet.

Dans ma grande naïveté européocentriste, je voyais d'abord à travers ces images l'effet de l'influence du palladianisme anglais qui s'est développée à partir du 17e siècle et qui a rayonné à partir de ce pays dans le monde entier. Mais comme beaucoup d'Européens, j'ignorais tout de la société et de la culture bengalies, et même de l'histoire de la colonisation anglaise, bien antérieure à celle que le roi Léopold II a initié au Congo. François décida d'envoyer Fabien de Cugnac à Calcutta pour réaliser la mission photographique. Prenant connaissance de l'ampleur et de la complexité du sujet, Fabien, arrivé sur place jugea utile de faire venir François. S'introduire dans les grandes demeures de Calcutta, repérables de l'extérieur, requiert une diplomatie particulière. Avec le temps et au cours d'une deuxième mission, réalisée seul l'année suivante, durant laquelle il réalisa une nouvelle salve de photos, François réussit à entrer en contact avec quelques représentants de l'élite intellectuelle de Calcutta. Le premier résultat de ces contacts fut la rencontre avec le cinéaste Satyajit Ray et la publication d'un livre de photos réalisées au cours des tournages de ses films par son photographe de plateau attitré, Nimai Gosh.

Venait d'être diffusé en Europe, le magnifique film de Satyajit Ray, Le salon de musique, qui évoque à la fois la vie dans ces palais et l'esprit des élites bengalies traditionnelles d'autrefois. Ce film, qui est un chef-d'œuvre accompagné par la musique de Ravi Shankar, allait-il ouvrir les portes de la curiosité occidentale pour Calcutta ? L'idéal eut été de trouver pour réaliser ce livre une coédition avec de grandes maisons d'édition anglaise, allemande ou française. François s'est alors employé à rencontrer plusieurs d'entre elles. Elles ont eu l'occasion d'admirer les photos ramenées de Calcutta tant par Fabien que par François. Mais leur frilosité devant des sujets méconnus en Occident les rendait excessivement prudentes.

L'idéal eut été aussi de confier la conception des textes du livre à des auteurs bengalis. Mais tout est complexe à Calcutta et tout prend un temps infini. Et les frères Loze ne descendent ni d'une famille d'illustres banquiers ni de mécènes industriels. C'est ainsi que les années ont passé, rendant ces photos d'autant plus précieuses qu'elles ont été réalisées avec un soin rare, à la chambre technique, afin de redresser les fuyantes des photos, et que l'on voit à présent la ville de Calcutta changer au rythme de l'Inde actuelle. Fabien de Cugnac a su trouver le ton juste pour aborder ce sujet, en évitant l’anecdote, pour rendre hommage à l’architecture, à la lumière, aux couleurs et à l’ambiance de ces palais. François s’est accordé à lui dans ses propres photos qui en font découvrir les intérieurs, et l’ensemble de ce reportage témoigne ainsi de ce que fut Calcutta autrefois, et nous invite à comprendre son histoire. Finalement, François s'est décidé à prendre la plume et a réussi à synthétiser en quelques pages tout ce qu'il a appris sur l'histoire magnifique de l'Inde, sur ses relations avec l'Angleterre, sur Calcutta, sur la culture bengalie, ses grandes figures d'intellectuels, ses écrivains, ses poètes. C'est bien plus que la diffusion du palladianisme anglais : la rencontre et l'échange très fécond entre deux cultures. Cette exposition s'insère parallèlement aux Journées du Patrimoine vouées cette année 2022 à l'exploration des traces culturelles laissées à Bruxelles par la colonisation belge. Elle y mérite sans doute sa place dans la mesure où elle démontre les résultats produits par une tout autre voie que celle qui fut empruntée par la Belgique.

Novembre 2022 Pierre Loze

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FR.

L’architecture des palais que nous montrons dont la plupart étaient situés dans la «ville noire», est née d’un sursaut de dignité et comme une volonté d’affirmation, en réplique aux architectures monumentales que le gouvernement anglais fit élever pour démontrer son écrasante prépondérance et la supériorité de la race blanche. En Inde, deux sociétés à castes se sont rencontrées et se sont côtoyées, vivant séparément, avec chacune leur mépris de classe ou de castes, auquel s’ajoutait le préjugé de race. La soumission de l’une à l’autre n’avait qu’une seule raison, la supériorité militaire, nullement due à la bravoure, mais technique, et implacable.

Ces palais de Calcutta, situés au nord de la ville blanche où les Anglais restaient entre eux, s’élevaient dans les quartiers très animés qui entouraient Chiptur road. Ils ont été habités par une frange de la haute société bengalie qui depuis le 18e siècle commerça avec les Anglais, s’accommoda de leur présence, fit les nouvelles affaires avec eux, et subissant la colonisation, s’efforça d’affirmer aussi son existence en tentant de préserver son identité spécifique.

Le charme de ces architectures, qui adoptaient le langage du palladianisme anglais, réside dans la façon dont elles exprimaient aussi un art de vivre autour de grandes cours ombragées, qui les rapproche davantage des palais italiens que des demeures puritaines anglaises. Elles traduisent un hédonisme qu’on chercherait en vain dans les constructions laissées par les colonisateurs entièrement vouées à l’expression des symboles du pouvoir.

Mais ces élites ne se sont pas contentées de s’approprier les signes d’expression architecturale, elles ont aussi adopté et assimilé les connaissances littéraires, philosophiques, techniques et scientifiques des occupants anglais, en même temps que leur langue. Et cet élan d’ouverture a du même coup engendré l’apparition de la littérature écrite bengalie et un sursaut de la culture, que l’on a appelé la renaissance bengalie. Un moment de civilisation, un essor dans tous les domaines des arts, des sciences, ou de la philosophie et une fermentation d’idées de résistance qui ont conduit à l’indépendance de l’Inde. Curieusement, l’Inde d’aujourd’hui ne veut plus se souvenir de ce qu’elle doit à ces élites qui ont certes collaboré avec l’occupant mais sont à l’origine de l’Inde moderne.

La plupart des palais qui sont présentés dans cette exposition sont en triste état ou ont même été démolis. Ce reportage, réalisé il y a une trentaine d’années en 1989, est un témoignage exceptionnel et un constat de ce moment où deux civilisations se sont rencontrées et ont données l’une à l’autre le meilleur de ce qu’elles pouvaient en dépit des erreurs de l’Histoire.

Pierre Loze - novembre 2022

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EN.

You have to reread the Kipling short stories to rediscover the particular atmosphere of the English colony and the pretentious, arrogant and unscrupulous mentality that animated the white elites who ruled it. At the same time as the climate of India, as ubiquitous asit is, a feeling of superiority emerges, from each of the sentences of this author describing the landscapes and lifestyle of a country inhabited by those that were called natives.You have to have experienced this atmosphere that sticks to the skin as much as the effect produced by the heat to recognize it infallibly, and to understand the feelings of the men and womenwho experienced this state of mind on a daily basis.

The architecture of the palaces that we show, most of which were located in the "black city", was born of a burst of dignity and a desire for affirmation, in response to the monumental architectures that the English government had erected to demonstrate the overwhelming predominance and superiority of the white race.In India, two caste societies met and and lived along side each other, living completely separately, each with their contempt for class or caste, to which was added racial prejudice. The submission of one to the other had only one reason to exist : military superiority which as not due to bravery, but was only technical, and implacable.

These palaces of Calcutta, located north of the white city where the English remained amongst themselves, rose in the very animated districts which surrounded Chiptur road.They were inhabited by a fringe of Bengali high society who since the 18th century traded with the English, accommodated themselves to their presence, did new business with them, and undergoing colonization, also tried to affirm their existence preserving its specific identity. The charm of these architectures, which adopted the language of English Palladianism, lies in the way in which they also expressed an art of living around large shaded courtyards, which brings them closer to Italian palaces than to English Puritan residences.They translate a hedonism that one would seek in vain in the constructions left by the colonizers, entirely devoted to the expression ofsymbols of power.

But these elites were not content to appropriate the signs of architectural expression.They also adopted and assimilated the literary, philosophical, technical and scientific knowledge of the English occupants, along with their language. And this momentum of openness engendered at the same time the birth of written Bengali literature and a burst of culture, which has been called the Bengali renaissance. A moment of civilization, a rise in all fields of the arts, sciences, and philosophy: a fermentation of ideas of resistance which led to the independence of India. Curiously, today's India no longer wants to remember what it owes to these elites who certainly collaborated with the occupier but are at the origin of modern India.

Most of the palaces presented in this exhibition are in poor condition or have even been demolished. This report produced some thirty years ago in 1989 is an exceptional testimony bearing witness to this moment when two civilizations met and gave each other the best they could despite the mistakes of History.

Pierre Loze - November 2022

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Catalogue/catalog : 240 ill., 16,5 x 24 cm, 152 p., texte/text F. loze.

7 rue Charles Hanssens - 1000 Bruxelles (Sablon)
jeudi- vendredi - samedi: 14:00 - 18:00


ON PARLE DE NOUS...
https://www.bdonline.co.uk/briefing/review-a-moment-in-time-the-disappearing-architecture-of-the-bengali-renaissance/5120746.article

Images défilantes :